CHAPITRE IX
Je me suis endormi... Moi ou Elgem... Et dans quelle pièce somptueuse ! Suis-je toujours chez Dacla? Je n'en ai pas l'impression... Je revois soudain cette espèce d'officier affirmant que j'étais un imposteur... et il a été plus rapide avec son étrange revolver... Oui, un paralysateur.
Pour moi, tout s'arrête là... et je n'ai plus mon ceinturon. On me l'a pris... Sans doute cet officier vêtu de vert. Instinctivement, ma main se porte au collet de mon justaucorps... Le trident d'or s'y trouve toujours : on ne l'a pas vu. Je ne suis donc pas tout à fait désarmé.
Quant au reste, je fouille dans mes poches... Tout y est. Les diamants, la bague de Dacla, les cigarettes, comme les feuillets de papier où nous nous écrivions en français... Au dos de l'un d'eux, Elgem a ajouté quelques mots :
« Si tu te réveilles à ma place, sache que tu te trouves au palais impérial... Le commandant Fertal est de Kaldar et il connaissait la mort d'Halno. Je m'en suis tiré en prétendant être un enfant naturel de Serai de Kaldar, le père d'Halno, dont j'avais usurpé l'identité après avoir été élevé par ma mère dans le quartier d'Olbo à Talima... Le quartier le plus malfamé de la ville et j'ai alléché mon frère en lui disant qu'à la suite d'un accident dans les montagnes de Kraa, j'ai pu entrer dans un aviso où j'ai cru voir Elgern en état d'hibernation. Nous devions aller là-bas... Adrun se serait retrouvé en mon pouvoir, mais il a dû se méfier car le temps passe... On m'a servi à manger... Je lui ai proposé d'aller dans les montagnes de Kraa... Il aurait pris deux hommes sûrs avec lui et je devais être désarmé... Nous aurions dû partir depuis longtemps... Quand je lui ai parlé de moi, il n'a pas paru au courant des transferts de personnalité... Les prisonniers n'ont donc pas parlé. Tu en connais trois, mais tu peux te faire reconnaître des autres en parlant français... Joue serré si tu dois prendre ma place, Adrun est d'une intelligence diabolique. »
Le palais impérial !... Je prends une cigarette et l'allume... La fumée m'aidera toujours à réfléchir. Deux portes dans cette immense pièce meublée en salon. Meublée dans un style assez baroque, pour moi... Le fauteuil, dans lequel je viens de m'éveiller a l'air d'avoir été taillé exactement à mes dimensions.
En repoussant les accoudoirs, je m'aperçois qu'ils peuvent s'écarter, et, lorsque je me lève tout le fauteuil se rétrécit. Il épouse exactement les formes de celui qui s'assied... Je marche jusqu'à la porte de droite et l'ouvre.
Un soldat se dresse devant moi.
— Il vous est interdit de quitter cette pièce, seigneur.
Je suis prisonnier, mais on me traite tout de même avec certains égards... Je referme la porte et retourne à mon fauteuil. Depuis combien de temps suis-je ici ? Longtemps d'après Elgern, mais son message ne me permet pas d'apprécier.
J'écarte les accoudoirs du fauteuil et il s'ouvre pour m'accueillir. Il n'est ni en bois, ni enfer, ni en matière plastique. On dirait un matériau vivant mais ce n'est certainement pas le cas. Je me demande si Dacla a été compromise par mon imposture?... Surtout où se trouve Délénia?... J'ai tort de penser à elle... Une princesse impériale, sur une planète d'un niveau de civilisation 12, ne peut rien avoir de commun avec un ingénieur en électronique d'une planète d'un niveau de civilisation 7.
Oh ! j'ai fait de fantastiques progrès au point de vue scientifique depuis mon hibernation avec Elgern mais, de toute façon, ça ne change rien.
Avec un soupir, je vais écraser ma cigarette sur l'entablement de marbre de ce qui devrait être une cheminée. Un peu plus loin, j'aperçois une grande glace murale et vais m'examiner. Dans mon justaucorps de velours bleu, j'ai grande allure.
Une allure seigneuriale... Mais ma barbe a poussé : une barbe d'au moins deux jours. Ce n'est pas encore trop grave car je suis blond, mais il ne faudrait pas...
L'autre porte s'ouvre : une porte à deux battants. Trois hommes apparaissent et se tiennent sur le seuil. Je reconnais immédiatement Okkar avec lequel j'ai discuté sur le vaisseau où il était prisonnier mais lui, m'a oublié.
De toute façon, le chef est un homme grand et large, habillé d'un uniforme jaune sans insigne. Son visage me rappelle quelqu'un. Elgern! Il paraît furieux.
— Venez, Halno de Kaldar ! dit-il d'une voix sèche. J'ai quelque chose à vous montrer... Vous êtes plus fort que je le croyais et je vais sans doute être obligé de vous prendre au sérieux.
Il s'agit d'Adrun, l'Empereur... Le troisième homme est un officier de haut grade; je ne le connais pas.
— A votre disposition, Sire.
Haussant les épaules, il me tourne les talons et prend la tête de notre petit groupe. Nous traversons trois pièces pour entrer dans une quatrième, immense, dont les trois quarts sont absolument vides et le quart restant meublé d'une rampe comportant divers appareils.
L'Empereur se tourne vers l'officier et lui ordonne :
— Partez du ravin.
L'officier appuie sur un bouton au bas du premier appareil. Nous avons immédiatement, dans le reste de la salle, une vue panoramique en trois dimensions.
— Situez le ravin, ordonne l'Empereur.
Il s'éclaire d'une lueur orangée. Elle ressort nettement du bleu dont est teinté le reste du paysage. Je reconnais le ravin et, immédiatement, je suis orienté. Ce sont des vues photographiques. Elles remplacent avantageusement les cartes.
De sa voix dure, Adrun précise :
— Voilà le ravin où vous avez sauvé Dacla... Nous sommes partis de là et nous avons remonté jusqu'à la limite de la zone de végétation... Quand je dis nous, je veux parler des troupes envoyées là-bas. Indiquez l'endroit où l'on a retrouvé le casque, le désintégrateur et le compensateur de gravité dont s'est servi Halno de Kaldar pour échapper aux Tapis Volants des montagnes de Kraa, général.
De nouveau, une lueur orangée. Je reconnais même le bosquet formé par les petits arbres rabougris. Je dis :
— Vous voyez, Sire, je n'ai pas menti.
— Pas encore... et nous avons même découvert l'aviso dont vous nous avez parlé... Voilà où les choses se gâtent... Le film, Cordias.
Le même paysage, mais avec le relief dressé en face de nous comme un écran.
— Quatre samadans, fait l'Empereur. L'aviso a vite été repéré... Vous allez le revoir dans un instant. Tenez, le voilà!... Maintenant les vues sont prises des trois samadans restés en hauteur. Le quatrième s'est posé... Rien ne se passe, vous le remarquez... Voilà maintenant trois hommes. Ils sortent du samadan. Deux portent des désintégrateurs pour éliminer les Tapis Volants... et vous voyez, ils en détruisent trois... L'autre homme s'approche du sas... Il tente de l'ouvrir, et il est abattu. L'aviso est en état de défense, et maintenant, voilà une bombe thermique. Elle s'abat sur le samadan. Il est en scoral donc indestructible, mais la bombe dégage une telle chaleur que rien de vivant ne subsiste à l'intérieur... et vous prétendez être entré dans cet aviso ?
— Oui, le sas s'est ouvert au moment où je me suis présenté devant lui.
— Tout seul?
— Tout seul.
Okkar intervient brusquement.
— Cela arrive, Votre Majesté. Le fait est excessivement rare, mais il s'est déjà produit. Kaldar possède des ondes biologiques semblables à celles de l'homme qui a mis cet aviso en état de défense.
— Les ondes d'Elgern ?
— Pas d'Elgern, s'il est vraiment en hibernation dans la crypte.
— J'en donne ma parole... Enfin, un homme lui ressemblant se trouve bien en hibernation dans la crypte, ça je le jure !
— Quant à Kaldar, il n'a pas les ondes biologiques d'Elgern puisque nous avons tâté les siennes durant son sommeil... Ses ondes biologiques n'ont jamais été répertoriées nulle part... S'il a vécu dans le quartier d'Olbo de Talima, il a toujours su éviter tout rapport avec les policiers de l'Empire.
— Avant de mourir, ma mère m'a légué une fortune.
L'Empereur hoche la tête.
— L'homme qui a mis cet aviso en état de défense sur les montagnes de Kraa a nécessairement renvoyé le vaisseau jusqu'ici et les navettes spatiales dont nous avons dû désintégrer les haut-parleurs sur les deux autres continents.
— Ça me paraît logique.
— Donc, Halno pourrait couper les défenses du vaisseau sur la terrasse supérieure.
Un sourire joue sur les lèvres d'Adrun.
— On peut pénétrer dans le vaisseau, mais pas au-delà des soutes inférieures... Des robots gardent toutes les coursives menant aux secteurs clés. Ils ne tuent pas mais opposent un écran infranchissable. Si vous pouvez vous rendre maître de ces robots, eux pourront pénétrer dans l'aviso... Moi, je ne tiens pas à y entrer, mais si les robots ont des caméras nous pourrons être fixés... Votre fortune est faite, Halno, si vous m'apportez la certitude dont j'ai besoin... Je vous confirmerai dans votre titre et vous élèverai aux plus hautes fonctions de l'Empire.
H n'en fera rien. Si je lui livrais le corps d'Elgern, il me ferait mettre à mort en même temps qu'Okkar et Cordias. Je réponds :
— Je suis prêt à essayer, Sire.
Robots et ordinateurs m'obéiront puisque je connais le code, remis en vigueur par Elgern.
Sur la terrasse autour du vaisseau, des soldats montent la garde. Ils sont plus de deux cents en armes et nous en trouvons encore dix dans le sas. Nous le traversons et me voici dans la grande soute où j'ai parlé aux prisonniers... Je reconnais aussi l'escalier sur la première marche duquel je me suis assis.
Un robot se tient droit sur la troisième marche. Mentalement, je lance mon appel :
« A.Z. 21. Tout le vaisseau sous mes ordres. J'annule les dispositions antérieures. Vous ne réagirez qu'à mes injonctions. »
Les soldats sont restés dans le sas, mais Adrun, Cordias et Okkar ont pénétré dans la soute. J'ordonne mentalement :
« Fermeture immédiate des portes intérieures du sas. »
Elles coulissent sèchement et nous voilà prisonniers de la soute.
— Que se passe-t-il ? s'écrie l'Empereur.
J'ordonne encore :
« Paralysez le général. »
Instantanément, Cordias se fige et je me tourne vers Adrun. Il ne porte pas d'armes sur lui.
— Vous êtes pris, Adrun.
J'ajoute immédiatement en français, car Okkar comprend cette langue :
— Ne bougez pas, Okkar, un seul geste et d'une impulsion mentale, je ferai éclater la grenade cervicale que vous portez au-dessus de la nuque... Assurez-vous de la personne d'Adrun et enfermez-le dans la soute 8 où vous vous trouviez. k
Okkar est pris d'un tremblement et se tourne vers Adrun en sortant un paralysateur de son étui.
— Ne m'obligez pas à m'en servir, Sire... Je suis contraint d'obéir sous peine de mort.
— Mais cet homme, alors, qui est-il ?
— Un Terrien... Je suis l'allié d'Elgern. En pénétrant dans le vaisseau, vous vous êtes condamné, mais ce n'est pas à moi de juger... Elgem décidera... En attendant, nous allons décoller. Nous repartons pour les montagnes de Kraa.
Une impulsion mentale, précédée du code, à l'ordinateur et le lourd vaisseau s'ébranle. Adrun le réalise et se laisse conduire dans la soute 8, dans un état de fureur indescriptible. J'emprunte la coursive pour gagner le poste de pilotage.